Lever les yeux #1

Lever les yeux #1

Une série d’articles vous invite, dès à présent, à vous balader dans le musée et alentour, les yeux levés, à la découverte de ses richesses.

Le Musée Ariana regorge de trésors, dans ses collections évidemment, dans ses expositions bien entendu, mais également dans son architecture ! Les visiteurs les plus avertis l’auront sans doute remarqué, aucun détail du bâtiment n’est laissé au hasard. En témoignent les plafonds du rez-de-chaussée, qui comportent des caissons peints.

Ces peintures ont été réalisées sur commande de Gustave Revilliod (1817-1890), fondateur du musée, par le peintre genevois Frédéric Dufaux (1852-1943) lors de la construction de l’édifice (1877-1884). Il est à l’époque un jeune peintre et sculpteur, ayant effectué sa formation à l’École de dessin de Genève, où il a été élève de Barthélemy Menn  (1815-1893), puis à l’Académie des Offices à Florence, sous la direction du peintre Luigi Rubio (1808-1882). Il a également séjourné à Paris entre 1876 et 1891.

Les Métamorphoses d’Ovide
Les Métamorphoses d’Ovide (43 av. J.-C. – 17 ap. J.-C.) sont un recueil de fables racontant l’histoire du monde et de sa création. Quatre histoires sont illustrées sur les plafonds de l’aile Nord du bâtiment du Musée Ariana, représentants une sélection d’illustrations tirées des Métamorphoses d’Ovide.

Diane se baignant avec ses Nymphes, surprise par Actéon, elle le métamorphose en cerf (fig. 1)
Diane, déesse de la chasse, a pour habitude d’aller se baigner à la tombée du jour accompagnée de ses nymphes dans un bassin proche d’une source. Actéon, chasseur émérite, passe par là et découvre ces corps dénudés. Diane, mécontente de se faire ainsi surprendre le transforme en cerf : des bois poussent sur sa tête, son cou s’allonge, et son corps se recouvre de pelage. Actéon s’enfuit, et, ne se rendant compte de son état qu’une fois pris en chasse par ses propres chiens, se demande ce qu’il doit faire. Incapable de leur faire entendre sa voix et suite à une longue course poursuite, Actéon devenu cerf se fait dévorer violemment par ses chiens. Et c’est ainsi que, Actéon perdant la vie, la colère de Diane est enfin apaisée.

1a.

Jupiter couvrant la terre de nuages pour jouir d’Io (fig. 2)
Jupiter, dieu des dieux et époux de Junon, s’éprend de désir pour Io. Celle-ci, ne souhaitant pas cette relation, prend peur et cherche à s’enfuir. Mais Jupiter recouvre la terre de ténèbres afin de l’arrêter dans sa fuite. Junon, qui connaît les infidélités de son mari, traverse la pénombre, et surprend Jupiter, qui a tout juste le temps de transformer Io en magnifique génisse argentée. Afin de pousser son mari à avouer sa faute, Junon demande à Jupiter de lui offrir la génisse, qu’elle confie ensuite à un gardien très particulier à cent yeux qui ne dort jamais vraiment…
Sur cette représentation, les attributs de Jupiter sont clairement visibles en haut à droite de l’image : l’aigle et le foudre. L’auteur montre également la présence d’un putto (angelot représenté sous les traits d’un enfant), peut-être Cupidon, muni de son arc et de son carquois, et qui est sans doute responsable de l’attirance de Jupiter pour Io.
Comme vous pouvez le découvrir ci-dessous, Cupidon possède également un rôle important dans le récit suivant.

2a.

Le serpent Python tué à coups de flèches par Apollon (fig. 3) et Daphné poursuivie par Apollon est changée en laurier par son père (fig. 4)
Ces deux derniers caissons racontent deux épisodes successifs de la légende d’Apollon.
Apollon, dieu des arts associé à la lumière du soleil et réputé pour sa beauté, est très habile de son arc. Il chasse habituellement les daims et les chevreuils. Un jour, il tombe nez-à-nez avec Python, un monstre terrifiant représenté ici sous les traits d’un serpent. Apollon l’accable alors de nombreuses flèches, le vidant ainsi de son sang et de son venin. Cette scène mythologique sert à imager la victoire du bien sur le mal, de la lumière sur les ténèbres, de la connaissance sur l’ignorance. La représentation suivante raconte qu’Apollon, fort de sa victoire sur Python, se pavane auprès de Cupidon et le met en garde sur le fait que seuls les héros sont capables de manier l’arc avec habileté. Cupidon, irrité par les propos provocateurs d’Apollon décide de lui démontrer qu’il est lui-même très adroit de son arc. Il tire ainsi une première flèche sur Apollon, provoquant en lui le sentiment d’amour, et une seconde sur la nymphe Daphné, repoussant ce sentiment. S’ensuit alors une course poursuite au cours de laquelle Apollon tente d’approcher Daphné et Daphné cherche à lui échapper. Mais, grâce à l’aide de son père, le dieu-fleuve Pénée, et afin d’échapper à Apollon, Daphné est transformée en laurier : « ses cheveux s’allongent en feuillage, ses bras en rameaux, son pied, tout à l’heure si rapide, est retenu au sol par d’inertes racines »[1]. Petit à petit, son corps se recouvre d’écorce. C’est ce moment précis qui est représenté sur le plafond du musée : observez les orteils de Daphné se transformant en racines !
C’est cet attachement d’Apollon pour Daphné qui a fait du laurier une plante extrêmement symbolique : afin de rendre hommage à la belle chevelure de la nymphe, Apollon décide que le laurier conservera ses feuilles toute l’année, et il utilisera son bois pour fabriquer sa cithare et son carquois.

Ces quatre plafonds peints sont directement inspirés d’un recueil de gravures édité à Paris entre 1767 et 1771, fruit du travail des dessinateurs Charles Eisen et Charles Monnet, et des graveurs Noël Le Mire, Pierre-François Basan et Pierre-Philippe Choffard (Fig.1b, 2b, 3b, 4b).

Le bâtiment du Musée Ariana recèle encore bien des surprises, laissez-vous porter vers de nouvelles explorations inattendues, et ne manquez pas le prochain article du blog.
D’ici-là, n’hésitez plus désormais à lever la tête, vous ferez probablement de belles découvertes !

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Légendes et copyrights :
Image de titre : © Musée Ariana, Boris Dunand

Fig. 1a-4a
Frédéric Dufaux (1852-1943)
Peintures murales, 1877-1884
1a. Diane se baignant avec ses Nymphes, surprise par Actéon, elle se métamorphose en cerf
2a. Jupiter couvrant la terre de nuages pour jouis d’Io
3a. Le serpent Python tué à coups de flèches par Apollon
4a. Daphné poursuivie par Apollon est changée en laurier par son père
Musée Ariana, aile Nord (non inventoriées)
© Musée Ariana, photo : Luca Fascini

Fig. 1b-4b
Estampes dans « Illustrations des Métamorphoses » d’Ovide,
Tome I. Livre III
Dessins par Jean-Michel MOREAU (1741-1814), Charles EISEIN (1720-1778), Charles MONNET (1732-180.?) [et al.] ; gravures par Noël LE MIRE (1724-1800), Pierre-François BASAN (1723-1797), Pierre-Philippe CHOFFARD (1730-1809) [et al.]
1b. Diane se baignant avec ses nymphes est aperçue par Actéon, qu’elle métamorphose aussitôt en cerf
2b. Jupiter couvre la terre de nuages pour jouir d’Io.
3b. Le serpent Python tué à coups de flèches par Apollon
4b. Daphné poursuivie par Apollon et changée en laurier par son père [le fleuve Pénée]
[Cote : BnF microfilms R 78409-78410-78411-78404]
© Bibliothèque nationale de France

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Découvrir, apprendre, plonger dans le monde de la céramique et du verre, voilà ce que propose ce blog. Les textes sont signés par des collaborateurs-trices du musée mais aussi par des professionnel-le-s et des amateurs-trices venant parfois d’autres horizons. Tous et toutes prêt-e-s à faire partager leur savoir, chacun pose ici un regard passionné, scientifique et inédit, décalé et amusé parfois.

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