L’interview de Christian Hörack, curateur au Musée national suisse

L’interview de Christian Hörack, curateur au Musée national suisse

Propos recueillis par Isabelle Payot Wunderli

Christian, tu es curateur de la section métaux précieux et céramique au Musée national suisse mais également président de l’Association des amis suisses de la céramique. Très investi dans ce dernier domaine, pourrais-tu dire, en quelques mots, comment tu es arrivé à ces fonctions ?
Pendant mes études en histoire de l’art, je me suis tôt spécialisé dans les arts décoratifs. J’ai eu la chance d’avoir eu dès le début un professeur spécialisé en objets d’art qui nous a régulièrement fait entrer dans les dépôts de différents musées pour étudier les objets sur place. Ce contact direct et physique avec les objets anciens m’a toujours passionné, déjà lors de mes études, lors de mes stages dans différents musées, puis de mon travail comme expert dans une maison de vente aux enchères et finalement dans le cadre de mes fonctions de conservateur de musée ou encore pour les amis suisses de la céramique.

De quand date ton intérêt pour ce domaine en particulier ?
Mes premiers contacts avec le monde de la céramique étaient des cours de poterie pour enfant et un cours de peinture sur porcelaine dans mon lycée. Créer une œuvre ou un objet m’avait fasciné, mais en devenant adulte j’ai pris la décision de plutôt poursuivre la voie académique. Partager mes connaissances et mon amour pour les objets fait partie de mon quotidien. Il y a environ une dizaine d’années, un membre des amis suisses de la céramique m’avait recommandé de participer aux événements de cette association. J’y ai trouvé le même bonheur de partager une passion au sein d’un groupe que lors des colloques et excursions multiples auxquels j’ai participé tout au long de mes études.

Le monde de la céramique est vaste. Quels sont tes points d’intérêt principaux ?
C’est tout d’abord l’aspect visuel qui me parle et l’esthétique d’un bel objet peut me passionner. Cependant, tout aussi fascinants pour moi sont l’histoire de l’objet, les conditions de sa création, ses différents propriétaires ainsi que son usage.  

Le Musée national suisse pour lequel tu travailles est de nature encyclopédique. Comment envisages-tu la place de la céramique dans l’ensemble ? Quels sont les points forts de la collection ?  Quelles seraient les acquisitions à envisager pour compléter précisément l’ensemble ?

Les collections de céramique du musée national sont très vastes et reflètent l’importance de la création de céramique en Suisse à travers les siècles. Les porcelaines zurichoises du 18e siècle et la vaste collection de poêles en faïence sont particulièrement importantes. S’y ajoutent de grands ensembles de faïence de Winterthur et de porcelaine de Langenthal.

De manière générale nous essayons de couvrir l’ensemble de la production dans toutes les régions de la Suisse jusqu’à l’époque actuelle. Nous complétons actuellement certaines lacunes pour le 20e siècle.

La question de la frontière entre beaux-arts et arts appliqués se pose, est-elle toujours d’actualité ? Et quelle est, à tes yeux, la place de la céramique dans la production artistique en général et actuelle en particulier ? Est-elle un médium privilégié pour porter un discours ou est-elle un objet essentiellement esthétique ?
Un objet pour l’usage quotidien peut être simple, sobre ou hautement raffiné, mais il n’a pas la même intention qu’une œuvre d’art. Néanmoins, certains céramistes franchissent cette frontière et créent des sculptures ou parfois aussi des objets tellement luxueux que l’objet même a pour seule vocation de stupéfier le spectateur. Je pense aux figures en porcelaine du 18e siècle et aussi à des artistes du 20e comme Margrit Linck ou Pierrette Favarger qui créent à la fois des objets d’usage et des œuvres d’art. En observant constamment la création artistique contemporaine je me réjouis quand je découvre des artistes travaillant avec de la céramique. Par rapport à l’énorme production artistique que le monde connaît actuellement, les céramistes restent une niche, il faut les chercher.

Tu t’investis beaucoup dans l’Association des amis suisses de la céramique. Quel est son rôle et son champ d’action ? Que souhaites-tu y développer en particulier ?
Cette association existe depuis 1945. Nous éditons un journal scientifique et un bulletin plus général et nous regroupons des gens qui s’intéressent tous à la céramique, des scientifiques, des collectionneurs, des céramistes, dont des fabricants de poêles en faïence et des spécialistes du marché de l’art. Lors de nos nombreuses excursions et visites, et de notre voyage annuel à l’étranger, nous discutons, analysons et partageons nos connaissances. Ces échanges se font de manière conviviale, et finissent toujours autour d’un verre ou d’un repas.

Tu as initié une refonte esthétique des deux moyens de diffusion du savoir céramique publiés par l’association. Cette « modernisation » visuelle s’accompagne bien entendu d’une volonté d’élargir l’intérêt de la céramique à un public toujours plus large, n’est-ce pas ?
Les premiers bulletins dans la nouvelle ligne graphique plaisent beaucoup à nos membres. En 2021 sera édité notre nouveau journal scientifique qui s’intitulera désormais Revue, en remplacement de notre Mitteilungsblatt. Sa qualité scientifique, comme toujours, sera assurée grâce à nos rédacteurs, notamment par Roland Blaettler, ancien directeur du Musée Ariana. Le troisième moyen de diffusion est notre site internet www.keramikfreunde.ch, qui sera entièrement renouvelé prochainement. Nous ne voulons pas réinventer la roue, mais je suis convaincu qu’une présentation plus moderne séduira un nouveau public et reflètera mieux le dynamisme de notre association.

Comment envisages-tu la poursuite de ce travail de recherche effectué par l’association au travers de sa revue ?
Le rédacteur et le comité discutent ensemble des nouveaux sujets. Nous publions les recherches de nos membres et aussi de chercheurs étrangers. Nous alternons entre revues monographiques et revues comprenant de multiples sujets. Le choix des thèmes est large et reste toujours dicté par l’actualité de la recherche. Sans les chercheurs, nous ne pourrions pas publier ces articles et nous nous devons de continuer à collaborer avec les musées, universités, écoles d’art, collectionneurs, céramistes et archéologues.

Et le Musée Ariana dans tout cela ? Quelle est, à ton avis, sa place dans le monde muséal d’aujourd’hui ? La collection est vaste, quels sont tes coups de cœur ? As-tu un souvenir particulier à propos de l’une de tes visites ici ?
Le Musée Ariana est le musée en Suisse pour la céramique. Pour cette raison, notre association propose des visites commentées pour presque toutes les expositions. Personnellement, je parcours chaque fois les collections permanentes. Même une très bonne base de données en ligne ne remplacera jamais la confrontation directe avec l’original. Une de mes sections favorites est la collection d’étude qui est une trop rare occasion de voir un condensé du monde céramique. J’ai eu bien entendu également de nombreux coups de cœur lors des dernières expositions temporaires, mais s’il fallait n’en citer qu’une, ce serait la visite commentée, hautement didactique et passionnante de Terres d’Islam, par Anne-Claire Schumacher.

Tout est bouleversement, l’art n’y échappe pas, ni les musées. Comment vois-tu le musée/les musées dans 10 ans ?
J’aimerais que l’on retrouve un meilleur équilibre entre expositions temporaires, collections permanentes et conservation, notamment en créant un événementiel qui s’appuie plus sur les collections propres du musée et le travail des conservateurs, et peut-être un peu moins sur les expositions temporaires. Cela signifie sans doute que les expositions permanentes devront être repensées et actualisées plus souvent.

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Copyrights
Illustration de titre : © Musée Ariana, détail d’un vase, inv. AR 929, photo Angelo Lui
Illustrations dans le texte : © Landesmuseum, Zurich

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Découvrir, apprendre, plonger dans le monde de la céramique et du verre, voilà ce que propose ce blog. Les textes sont signés par des collaborateurs-trices du musée mais aussi par des professionnel-le-s et des amateurs-trices venant parfois d’autres horizons. Tous et toutes prêt-e-s à faire partager leur savoir, chacun pose ici un regard passionné, scientifique et inédit, décalé et amusé parfois.

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