Histoire d’une restauration
- avril 30, 2021
- de
- Sandra Gillioz
Au cours de l’année 2020, un accent particulier a été porté sur la restauration de la collection japonaise du musée Ariana, en vue de l’exposition Chrysanthèmes, dragons et samouraïs.
Un lot de figurines à vocation touristique a particulièrement retenu notre attention tant dans l’étude que lors de leur restauration. Relatant des scènes de la vie nippone, ces figurines du 19e siècle détenaient une valeur de rareté significative, compte tenu des faibles trouvailles parallèles dans d’autres collections lieux. On peut expliquer cela par plusieurs facteurs. Ces figurines, constituées d’une pâte blanche particulièrement cassante, n’étaient vraisemblablement pas des objets conçus dans un objectif de longévité. Ainsi, leur exportation vers l’Europe a probablement induit de nombreuses altérations structurelles, peut-être trop lourdes ou requérant trop d’efforts pour leur réparation par rapport à leur modeste valeur marchande. On peut alors supposer que peu d’entre elles ont survécu jusqu’à nous.
Dans cet ensemble conservé au musée Ariana, le groupe au palanquin, représentant deux porteurs et un riche propriétaire, a notamment attisé notre curiosité. La figurine était en mauvais état de conservation, altérant son appréciation et sa compréhension (ill. 1 et 2).
Accidentée à plusieurs reprises, elle présentait de nombreux bris. Ainsi, la toiture du palanquin avait cédé à deux reprises au moins (ill. 2). Le chapeau, déposé sur cette dernière, comprenait deux manques importants (ill. 3).
Une tige, représentant un bambou, sur laquelle un des porteurs prenait appui était constituée de six fragments. Une grande partie de ces cassures avait déjà fait l’objet d’anciens collages. Certains d’entre eux, réalisés en gomme laque (résine organique d’origine animale) seraient peut-être d’origine nippone car la résine contient des inclusions susceptibles de désigner une composition japonaise. En outre, l’application largement débordante du joint de colle semble caractéristique des interventions nippones qui ne cherchent pas à dissimuler l’état, même accidenté, d’un objet (photo 4). Parallèlement, la figurine était particulièrement encrassée et les matériaux ajoutés lors des anciennes interventions s’étaient oxydés, devenant très visibles (ill. 4).
La restauration de l’objet fut complexe car il s’agissait, dans certains cas, de retirer d’anciens matériaux exogènes, parfois devenus presque insolubles, sur un substrat particulièrement fragile tant structurellement que superficiellement. En effet, ces figurines sont le fruit d’un travail de décor mixte à chaud (fixés par cuisson) et à froid (non-cuit). Les ornements déposés à froid ont été réalisés avec une peinture à la détrempe, par conséquent hydrophile et soluble dans la plupart des solvants organiques, y compris l’eau. Cette spécificité rendait le travail de nettoyage et de restitution de l’intégrité physique de l’objet plus laborieux.
Certains résidus d’adhésifs anciens ont dû être retirés car ils nuisaient à la stabilité de la figurine ou faisaient obstruction à une nouvelle jointure (ill. 4-5).
Pour ce faire, des gels de solvants ont été employés, permettant de maîtriser parfaitement l’étendue de l’intervention.
Les manques qui perturbaient la lecture de l’objet ont été réintégrés à l’aide d’un mastic minéral et d’un enduit de finition compatibles avec l’objet (ill. 6).
Après prise d’empreinte pour définir les contours des manques et mise en forme des comblements par ponçage, une réintégration colorée a été réalisée. Dans un objectif de transparence des interventions, la retouche visait à rester perceptible tout en étant discrète. Ainsi, elle a ainsi exécutée de manière à pouvoir la distinguer de près dans une tonalité plus claire que le substrat original (ill. 7 et 8).
La restauration a permis d’éclairer le passé de cet objet, assurer sa préservation et sa présentation pour les années à venir. Le groupe des porteurs est visible jusqu’au 9 janvier 2022 au musée Ariana.
______________________________________________
Légende de l’oeuvre
Groupe au palanquin, 1870-1890
Manufacture Goraku (île de Kyūshū ?), décor peint à Yokohama ?
Faïence fine modelée, décor peint aux émaux polychrome
Legs Gustave Revilliod, 1890, inv. AR 5042
1. Présence de nombreuses lacunes, notamment le bâton du porteur à gauche, brisé en six fragments et temporairement attachés à l’aide d’un scotch sur la base de la figurine pour éviter leur perte. Le chapeau qui se loge sur la toiture du palanquin est disjoint. Des collages débordants de gomme laque sont visibles.
2. Rupture du joint de colle en gomme laque, présent sous forme de résidus sur la toiture brisée. La rupture du collage a engendré des arrachements de surface, en raison d’une force d’adhérence trop importante. On note également un encrassement généralisé à travers la matité de l’ensemble, surtout visible sur la base.
7. La réintégration colorée du comblement a été réalisée dans une tonalité plus claire pour anticiper le vieillissement de la peinture dans le futur et laisser perceptible la restauration.
8. Un des fragments anciennement collés n’a pas été repris lors de cette restauration en raison d’un risque trop important de nouvelle casse lors d’une opération de dérestauration.
9. Figurine après restauration, déposée dans sa vitrine d’exposition.
Copyrights : ill. 1-2 © Musée Ariana, Jean-Marc Cherix, ill. 3-9 © Musée Ariana, Sandra Gillioz