Douleur chrétienne : symbolismes et spiritualités

Douleur chrétienne : symbolismes et spiritualités

par Julien Norberg, historien

Cet article fait partie d’une série que nous consacrons à certains objets de notre collection à  la thématique religieuse.

La flagellation du Christ est une scène maintes fois dépeintes dans l’iconographie (a)religieuse. Décrite dans les quatre Évangiles de la Bible (Jean 19, 1 ; Marc 14, 65 ; Luc 22, 63-65 ; Matthieu, 27, 26), elle s’inscrit dans la longue suite des évènements que subit Jésus suite à sa condamnation par le procureur romain Ponce Pilate. Elle précède le couronnement d’épine, la déambulation du Christ avec sa propre croix jusqu’au sommet du Golgotha et sa crucifixion1.

Cet épisode est central dans la théologie chrétienne. D’un côté, il inscrit la notion de sacrifice, une mort qui est pensée par certains comme nécessaire car elle aurait une raison d’être, et de l’autre, elle permet de porter plus loin dans le texte le concept de résurrection, un élément également important dans le Nouveau Testament.


La Flagellation du Christ, 1529
Attribué à Piero Bergantini, d’après un modèle d’Albrecht Dürer
Faïence, 39 x 32 cm ; Musée Ariana, inv. 19003

La flagellation comme outil de domination

Historiquement, « la flagellation faisait partie intégrante du supplice de crucifiement et était publique afin de favoriser la dénonciation ou la reddition »2. La visibilité publique de la douleur peut être comprise, ici, comme une manifestation du pouvoir politique en place dans le but de le légitimer. Cet outil de pouvoir s’applique dans une région où la domination romaine du 1er siècle de notre ère est marquée par une multitude de troubles : guerres civiles, « brigands » ou l’émergence des prophètes-messianiques. Ces deux derniers groupes d’individus sont considérés par le peuple comme des résistants qui auraient le pouvoir d’améliorer leur situation. A contrario, l’autorité romaine les perçoit comme une menace et, ainsi, utilise la violence afin de démontrer son pouvoir sur place.

Atteindre le divin par la douleur

La douleur porte, ainsi, toute une charge symbolique autant pour les romains que pour une partie de la théologie chrétienne. En effet, pendant longtemps, le dolorisme est perçu comme la participation sur un mode amoindri aux souffrances du Christ. Elle se retrouve ritualisée dès le 12e siècle autant dans la population laïque, par le biais du port du cilice (sous-vêtement d’étoffe rude voir de métal utilisé comme instrument de mortification volontaire), que dans certaines confréries religieuses. Ces dernières ont même, sous l’influence de la « spiritualité mendiante », utilisé la flagellation comme technique de rapprochement de l’expérience de Jésus. Ces pratiques corporelles existent encore aujourd’hui au nord de l’Espagne, par exemple, au cours de la « semaine sainte ».

La thématique de la souffrance et du dolorisme a été exalté par la tradition catholique pendant plus de 20 siècles pour se rapprocher intérieurement de la Passion du Christ. « La douleur devient une voie de purification de l’âme et du corps, un chemin de rédemption. La souffrance permet d’être au plus près de l’amour divin et du miséricordieux »3. Une voie dont s’écarte le protestantisme. Pour ce mouvement religieux, la douleur est une « épreuve infligée par Dieu permettant le mûrissement du fidèle, elle vaut dans les ressources qu’elle met en valeur chez l’homme »4. La force d’âme des humains et le fait de surmonter la douleur leur permet de se rapprocher de Dieu. Deux positions différentes, donc, mais se ciblant toujours sur la connotation d’élévation spirituelle que possède la souffrance.

Traditions chrétiennes dans un monde séculier

La construction sociale et historique de ce rapport au corps chrétien porte une influence encore certaine aujourd’hui. Michel Foucault relève la manière dont certaines institutions, telle que la prison, méprisent les corps dans une logique de réparation à l’image des valeurs chrétiennes susmentionnées. Mais ces dernières ne portent pas qu’une dimension de violence. La perception évangélique des corps souffrant couplée à la notion de charité a, par exemple, stimulé la création d’institutions de soins, comme l’hôpital. Une tradition chrétienne qui fonde ses institutions, ses individualités et ses représentations tout en portant un impact continuel dans les sociétés chrétiennes sécularisées.


L’auteur a rédigé cette série d’articles lors de son activité de civiliste au Musée Ariana. Les autres volets seront à découvrir tout au long de l’année.
A voir : une vidéo Tik Tok consacrée à cet objet.
1. Bien que les conséquences de la condamnation soient inscrites au cœur des différents écrits évangéliques, leur version diverge sur la suite exacte des évènements. Il n’est pas possible de les reconstruire de manières précises car ces textes ont surtout une visée liturgique et non un but de reproduction historiquement fiable.
2. BASLEZ, Marie-Françoise, Bible et Histoire : judaïsme, hellénisme et christianisme, Gallimard, Paris, 2005, p. 214
3. LÉVY, Isabelle, « La douleur : signification, expression, syndrome méditerranéen », Médecine & Hygiène, vol. 28, n°4, 2013, p. 216. URL : https://www.cairn.info/revue-infokara-2013-4-page-215.htm
4. LE BRETON, David, Anthropologie de la douleur, Éditions Métailié, Paris, 2012, p. 95. URL : https://www.cairn.info/anthropologie-de-la-douleur–9782864241911-page-81.htm

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